Revue N�3 page 41
PREMIERE EXPERIENCE CYCLO-MULETIERE
(Extrait d'un r�cit de voyage de l'�cole cyclo de Chamb�ry)
par Roberto DEL MEDICO de CHAMB�RY (73)
Il �tait d�j� bien tard lorsque le petit groupe d'amis cyclos se d�cida � faire halte pour la nuit. C'est �clair�s par une lampe de poche qu'ils dress�rent leur tente � la lisi�re d'un petit bosquet. Un petit restaurant situ� � proximit� du campement sera leur premi�re �tape gastronomique.Le lendemain, ils se r�veillent en pleine forme et sans le moindre signe de courbature. Les bagages sont soigneusement amarr�s sur les fid�les montures, encore tout humides de givre.
Apr�s un copieux petit d�jeuner, servi dans le petit "Restau" de la veille, commence l'ascension du premier col du p�riple : le col du T�l�graphe.Un grand mais dur boulevard ce col, pourtant il est franchi all�grement et en toute facilit�, malgr� quelques averses passag�res.
Une br�ve descente sur Valloire, et c'est d�j� la dure remont�e vers le col du Galibier. Pourtant, pas de Galibier pour nous, aujourd'hui.
"Mais que dis-tu l�, il n'y a pas d'autres routes, pourtant !!!" s'�tonne Robert.
"Mais si, mais si, il y en a une autre ..." r�ponds-je.
En effet, d�s que nous arrivons � Plan-Lachat, nous bifurquons sur la gauche, sur une petite route caillouteuse et pentue � souhait.
"Mais c'est quoi, l�-haut ?" s'�tonne encore Robert.
"L�-haut ? Mais c'est le col des Rochilles, mon petit !!!"Notre ascension va se d�rouler, pendant environ une demi-heure, dans le silence le plus absolu.
Seuls, le vent avec son sifflement sinistre, et nos pas retentissants comme des coups de gong sur la piste pierreuse, rompent cette incroyable et douce qui�tude.
De temps � autre, nous nous arr�tons pour mieux admirer le paysage.
"Regarde l�-bas !" s'�crie un des jeunes, fascin�.
"On aper�oit la route du Galibier ..."
Cela vaut une photo.Le silence est soudain perturb� par un gros bruit de moteurs. Il y avait un peu plus loin, un groupe de militaires avec de gros engins de terrassement, en train de refaire la route (la piste, devrai-je dire). Sans nous occuper d'eux, nous garons nos v�los sur le bord de la route pour �tre plus � l'aise au moment de la photo.
C'est � ce moment-l� qu'un engin, venant vers nous en marche arri�re, et � cause d'un moment de distraction du chauffeur, �crasa le v�lo de Robert. D'abord, nous rest�mes muets de stupeur, puis la rage prit le dessus. Hors de moi, j'insultai tellement le chauffeur, de sa maladresse, et l'officier qui dirigeait les travaux, que ce dernier, pour me calmer, d�cidait de mettre � ma disposition tout l'outillage dont il disposait ainsi qu'un jeune militaire pour m'aider en cas de besoin.
Les d�g�ts, � premi�re vue, semblaient importants (une p�dale tordue, la manivelle gauche fauss�e, les deux roues d�form�es ...)
Avant tout, j'examine le cadre.
"Est-il fauss� ?" s'inqui�te le capitaine.
Heureusement non ...
Nous redressons la manivelle fauss�e, au marteau, en la posant sur une pierre trouv�e sur le bord de la route. Le r�sultat est acceptable ; malheureusement, la p�dale est irr�cup�rable. Nous improvisons un d�pannage de fortune qui r�ussit fort bien, ma fois. Restent les roues. Que faire ? C'est qu'elles sont vraiment pli�es. Nous redressons d'abord l'encastrement du pneu puis, pour le reste, nous employons des moyens plus �nergiques. La roue est pos�e � plat par terre et maintenue au sol par mes pieds. De mes deux mains, je rel�ve avec force les parties pli�es. Je r�p�te la m�me action sur l'autre "victime". Il ne me reste plus qu'� fignoler, � mettre au rond � la clef � rayons.Quelques minutes plus tard, nous repartons avec deux roues "presque" neuves. L'ascension du col va se poursuivre � pied, car la piste qui se faufile entre les rochers n'est gu�re praticable � v�lo, � cause des engins de l'arm�e qui l'ont toute d�form�e ; de plus, il vaut mieux ne pas prendre de risques avec le v�lo "rafistol�" de Robert. Le paysage est tellement stup�fiant que nous oublions nos mis�res, surtout que les tristes nuages de ce matin ont c�d� la place � un ciel bleu, merveilleux et sans taches, et � un soleil splendide.
Des falaises impressionnantes nous barrent la route ; ce sont les rochers de la Grande Par�e qui nous dominent du haut de leurs 2.948 m�tres d'altitude (� nous donner le vertige...) Le passage parait vraiment infranchissable, et pourtant ... Et pourtant la piste monte toujours plus haut, tant�t sur le flanc gauche, tant�t sur le flanc droit, s'accrochant d�sesp�r�ment, courageusement � la roche friable. Les kilom�tres se succ�dent, mais quels kilom�tres ! Surplombs, �-pics, lacets, s'�tageant comme un escalier sans fin !
Soudain un virage plus sec sur la droite, et la piste se faufile dans un �troit passage, pour d�boucher enfin dans une sorte de plateau. Des montagnes �tonnantes d'aridit� et de beaut� l'entourent en forme de fer � cheval : c'est le Camp des Rochilles !
Un �trange petit village fait d'une vingtaine de maisons en briques, toutes pareilles et impeccablement align�es, comme un d�fil� de 14 juillet, appara�t devant nous.Nous traversons le camp, o� il ne r�gne aucun signe de vie et poursuivons notre ascension vers une grande montagne pointue s'�levant fi�rement devant nous : c'est l'Aiguille Noire. Le sentier dessine encore quelques courbes dans les rochers, avant de d�boucher enfin au sommet du col. Un spectacle f�erique nous appara�t alors. Un lac, �tonnant de beaut�, d'un bleu profond, se trouve juste au-dessous de nous, caress� sur les bords par d'immenses voiles de neige. Des enfants s'y amusent dessus � faire de la glissade, en maillot de bain. Du sommet d'un n�v�, ils se laissent glisser sur les fesses jusque dans l'eau limpide du lac. Un tremplin bien original, en v�rit� ...
Une br�ve descente, fortement pentue, nous conduit jusque sur les bords du lac. C'est maintenant sur sa gauche, que le sentier va se frayer un passage. Un deuxi�me lac fait bient�t son apparition et, celui-ci, contrairement au premier, est plac� au milieu d'un doux et immense tapis de gazon tr�s vert.
"Comme on serait bien ici pour camper..." murmure Ren�.
En effet, le lieu est vraiment enchanteur. Le sentier se fraye maintenant un passage dans un immense �boulis, dans un cadre invraisemblable, dantesque ; ce lieu, c'est le Seuil des Rochilles. Un troisi�me lac fait son apparition, merveilleusement bleu, merveilleusement petit.Nous d�couvrons devant nous le commencement de la vall�e de la Clar�e. D�s que nous y serons, l�-bas, nous ne serons plus tr�s loin de la route. Rassur�s par cette nouvelle, mes deux jeunes compagnons entament prudemment la descente, par un sentier tr�s ais� et sans difficult�s. Une heure plus tard, nous posons les pieds sur une �troite piste de chars. Un groupe de marcheurs, venant s�rement d'une excursion, s'arr�te pour nous applaudir. Nous nous retrouvons, ainsi, dans un couloir fait de solides gaillards en chaussures de montagne, combl�s de compliments, de "bourrades" amicales sur nos �paules. Qu'ont-ils pens� de nous, ces robustes amoureux de la nature, en nous voyant redescendre de "l�-haut", avec nos v�los ?
La vall�e de Nevache est l�, devant nous, devant nos yeux fascin�s par tant de beaut�. Nous remontons sur nos v�los et nous nous laissons glisser doucement vers les Chalets de Laval, vers Nevache, ... vers Brian�on. Il nous faut songer � d�nicher un coin pour camper.
C'est � Plampinet que nous allons faire �tape. Apr�s un long parlementoire avec un fermier bourru, nous obtenons un coin de son pr� pour amarrer notre tente ; de plus nous avons le privil�ge de garer nos pr�cieuses montures dans la cour de sa ferme o� un chien � l�air f�roce fait bonne garde.
"Elles seront plus en s�curit�, ici, vos bicyclettes" nous assure le fermier. "Avec mon chien, personne n'osera s'approcher, croyez-moi".
Avec un grognement terrifiant, la b�te fait �talage de ses crocs inqui�tants comme pour confirmer les dires de son ma�tre.Le soleil descend doucement � l'horizon, le ciel se teinte d'un ros� d�licat d'abord, puis d'un rouge vermeil. La nuit est proche. Des b�lements, des tintements de clochettes, � la fois l�gers et joyeux nous bercent avant de nous endormir. Ce sont les bergers qui regroupent leurs troupeaux, �parpill�s dans les riches p�turages. Et c'est enfin le silence apaisant et r�parateur de la nuit.
La montagne s'endort ... et les cycles aussi, bien �prouv�s, fatigu�s, �reint�s par une rude journ�e remplie d'�motions.
"Demain, �a ira mieux !" murmure Robert dans un dernier soupir.Robert DEL MEDICO.